Malgré ses 89 ans, son cancer et ses difficultés à se déplacer, l’icône de la gauche uruguayenne José « Pepe » Mujica, dont la frugalité et les réformes sociales lui confèrent un aura au-delà des frontières, mène sans relâche campagne électorale avant le second tour de la présidentielle dimanche. Sans doute sa dernière d’une longue carrière politique humaniste.
C’est lui l’ex-président (2010-2015) qui est placé en première ligne pour ramener la gauche au pouvoir sous la bannière de Yamandu Orsi, 57 ans, un de ses disciples qui dès son jeune âge s’est engagé dans le « Mouvement de participation populaire » crée par Mujica, l’ex-guérillero torturé et emprisonné sous la dictature militaire (1973-1985).
Bien avant le premier tour remporté par Orsi (43,9% contre 26,8% au candidat de la droite Alvaro Delgado), « Pepe », se déplaçant à l’aide d’une canne et parfois en fauteuil roulant pour se reposer, a été érigé en figure de proue du Frente amplio, la coalition qui a mené la gauche au pouvoir pour la première au pouvoir en 2005 avec Tabaré Vasquez (2005-2010, puis 2015-2020).
« Il faut qu’on se sorte de cette ornière » lançait M. Mujica dans un spot télévisé électoral où il apparaît en vieux sage, indiquant qu’il s’apprêtait à dire « adieu à la vie ».
À l’approche d’un second tour serré, José Mujica a multiplié les interviews et les apparitions publiques à Montevideo et dans le département de Canelones, où se concentre la majorité des 3,4 millions d’habitants du pays.
Pour le politologue Alejandro Guedes, M. Mujica a endossé le costume de « principal stratège » de la campagne d’Orsi, et malgré son état de santé fragile et ses problèmes de mobilité il doit encore battre le pavé « par nécessite ».
Si les sondages d’avant second tour donnent une légère avance à Orsi, l’écart « se rétrécit », affirme M. Guedes: « S’il y avait un avantage plus important (pour Orsi), je ne verrais pas la nécessité pour Mujica d’être encore sur le devant de la scène ».
- « Provocateur, disruptif » -
José Mujica, « le président le plus pauvre du monde » tel qu’il avait été surnommé pour avoir reversé la quasi-totalité de ses revenus de chef d’Etat à un programme de logement social, qui conduisait lui-même sa vieille Coccinelle et avait refusé de vivre dans la résidence présidentielle préférant sa modeste ferme des environs de Montevideo, a toujours été un chantre de la frugalité et pourfendeur de la surconsommation.
Critiquant les politiciens qui « aiment beaucoup l’argent », les qualifiant de « misérables », il s’est attaqué au président sortant Luis Lacalle Pou, du même Parti national de droite que le candidat Delgado, lui reprochant d’avoir acheté « une moto à 50.000 dollars » et d’avoir « deux camionnettes ».
« Je sais que je dis des choses qui font grincer et qui font mal. Mais pas de chance, à quasi 90 ans j’estime avoir le droit de dire sincèrement ce que je pense », a-t-il ajouté.
Sa réputation pour son verbe spontané, sans langue de bois et souvent polémique, n’est plus à faire. Mais avec l’âge il se mue en philosophe à mesure que l’inéluctable issue le guette, théorisant sur le sens de la vie et l’imminence de la mort.
« Travailler pour vivre est une chose, vivre pour travailler en est une autre », a-t-il lancé samedi près de Montevideo. Il a avoué avoir rêvé « bien plus que ce que j’ai pu réaliser », mais « le passé est révolu et c’est irrémédiable, il n’est question que de demain », a-t-il dit dans son discours comme une tournée d’adieu.
Pourfendant la « concurrence déloyale » entre hypermarchés et magasins de quartier, il a pêle-mêle défendu une agriculture familiale le rôle de l’État pour garantir la justice sociale.
Son omniprésence médiatique a lancé « un appel du pied » aux indécis, dans un pays où le vote est obligatoire, estime l’analyste Guedes.
« Mujica s’adresse aux secteurs de la société les moins politisés et les plus jeunes, pour les ramener vers le bulletin Orsi », estime auprès de l’AFP le sociologue Eduardo Bottinelli, directeur du cabinet de conseil Factum.
« C’est un personnage provocateur, disruptif, avec des éclats langagiers, mais qui aujourd’hui construit d’une certaine manière une épopée où malgré sa maladie il va au bout de lui-même pour la victoire d’Orsi », ajoute-t-il.
Sa diatribe contre le président sortant semble pourtant contre-productive. M. Lacalle Pou a lancé « un appel au calme », et Yamandu Orsi a semblé prendre ses distances tandis que « Pepe » Mujica a dû présenter ses « excuses au peuple uruguayen ». Mais « pas à cause du contenu, j’y souscrits. Pour la forme. Ce n’était pas le moment de le dire », a précisé l’indécrottable.